vineri, 29 ianuarie 2010

.D. Salinger, J.D. Salinger, J.D. Salinger

.D. Salinger, J.D. Salinger, J.D. Salinger

Par Frédéric Beigbeder (Lire), publié le 01/07/2007
Il pleut sur la clairière, le sol est boueux, mes chaussures vernies s'enfoncent dans la gadoue et j'ai honte d'avoir traversé l'Atlantique pour déranger mon Dieu. Je glisse sur un chemin de terre, après avoir tourné à l'angle de Platt Road et Lang Road en direction de la ferme mythique de J.D. Salinger. Au village de Hanover, la libraire du Dartmouth Bookstore où il s'approvisionne régulièrement en nouveautés a refusé de m'indiquer où habite l'auteur de L'attrape-coe; urs. Elle s'est mise à rougir quand je lui ai demandé s'il était venu récemment. Du coup, j'ai rosi moi aussi; un moment ignoble à passer. En face, à la pâtisserie Lou's où J.D. déjeune parfois le week-end, le garçon a levé les yeux au ciel quand je lui ai commandé le même donut que l'écrivain «et par la même occasion, la route pour sa maison». Je lui ai expliqué ma théorie: Salinger aime les donuts car ce sont des beignets troués au milieu, comme les gruyères que son père importait quand il était enfant. La disparition de J.D. est sa manière de devenir le trou au centre du donut. C'est aussi la raison pour laquelle Salinger pratique l'homéopathie: il veut devenir le médicament dilué dont l'eau se souvient. Il faut se sauver pour sauver les autres. Le serveur a tourné les talons et j'ai encore rougi en m'apercevant qu'il lui manquait un bras. Etranges contrées où tout disparaît... Cornish me rappelle Twin Peaks.
Plus près de chez lui, même silence méprisant de tous les voisins. J'ai l'impression d'être un paparazzo. La région entière respecte la vie privée du père de Holden Caulfield. Ils se sont tous ligués contre les intrus. Je révise mes questions. Lorsque je vais sonner à la porte, il me faudra choisir le mot juste. J'hésite. Je pourrais commencer par remercier J.D. Salinger d'avoir libéré mon pays des nazis il y a soixante-trois ans. Cinquante soldats de sa compagnie sont tombés en une heure devant lui quand il a débarqué sur Utah Beach. Mais ce serait une entrée en matière franchement «cheezy». J'aurais pu aussi lui apporter des donuts? Ou lui réciter la tirade de Franny dans Franny et Zooey (1961): «Il faut répéter sans arrêt le mot Dieu. Est-ce que tu as entendu raconter quelque chose de plus fascinant de toute ta vie? C'est une coïncidence extrêmement étrange, de voir qu'on rencontre partout des gens qui sont des religieux très sincères et très profonds et qui vous disent qu'en répétant le nom de Dieu sans arrêt, on fait arriver quelque chose, on parvient à le voir.» Mais là il risquerait d'avoir la trouille: la seule chose pire qu'un admirateur, c'est un admirateur illuminé. Aurais-je dû venir avec une très jolie fille de 14 ans? A une époque J.D. leur ouvrait ses portes, mais à 88 ans il a dû s'assagir (et puis sa jeune femme Colleen O'Neil risquerait de me donner des coups de balai). Je tergiverse sous la pluie qui froisse ma veste neuve. J'aimerais lui dire qu'en ce moment je comprends ce qu'il a voulu signifier au reporter du New York Times qui le harcelait il y a une trentaine d'années: «Publication is a terrible invasion of my privacy.» Devrais-je lui crier «Au secours pardon!» avant de partir en courant? Je préfère vous prévenir tout de suite: pour savoir si j'ai rencontré ou non l'écrivain le plus reclus du monde, il va falloir patienter jusqu'en octobre. Je m'en voudrais de briser le suspense du thriller réalisé par Jean-Marie Périer: Salinger va mourir, film à grand spectacle que nous avons tourné à Cornish, New Hampshire, début juin, et qui sera diffusé sur Canal Jimmy à l'automne prochain. Si je me suis permis de revenir sur le sujet, c'est peut-être parce que je pense que Franny a raison: répéter le nom de Dieu augmente nos chances de le rencontrer.

2 comentarii:

Anonim spunea...

te-ai lenevit... :)))

Anonim spunea...

te-ai lenevit... :)))